Grives au poêlon
Ma chance, c'est mon tonton Marc, le chasseur. Oui, c'est grâce à lui que ce soir nous mangeons des grives. N'ayez crainte, tonton Marc ne tire pas sur tout ce qui bouge! Comme il disait l'autre jour, “des fois, ça me fait peine, alors je ne tire pas!” Ah... si tous les chasseurs étaient comme lui... nous serions envahis de grives! Bon, soyons sérieux un instant car avec les grives, on ne plaisante pas! Il nous faut donc...
Un bon lard pour commencer! J'ai pris le mien chez Georgette. Dans sa petite boutique, à Montfort-sur-Argens (83), quand on est 3 clients, on est déjà 2 de trop. Le lard, elle le coupe au coûteau, en tranches fines et régulières s'il vous plaît ! Mon Dieu, comment va-t-on faire le jour où elle ne sera plus là! Lorsqu'elle le coupe, elle dit, “ah... vous, vous allez manger des grives !” Elle est indiscrète Georgette, mais on l'aime comme ça! Bon, revenons à nos moutons, euh... à nos grives...
Bien sûr, je vous passe le plumage... on en retrouve pendant une semaine partout dans la cuisine! C'est la raison pour laquelle, avoir une gentille mémé Guitte comme moi qui s'en occupe, c'est très, très intéressant! Ensuite, il faut habiller un peu ces demoiselles pour qu'elles ne prennent pas froid dans le poêlon. Pas de jalouses, une grive... une tranche de lard... comme ça, on obtient bien du jus pour mettre sur la tranche de pain. Quant au cholestérol... on verra une autre fois!
Il faut maintenant mettre le feu sous le poêlon, un peu d'huile de graine pour la route et, quand c'est chaud, il suffit de ranger les grives comme si elles étaient à la plage en train de se faire bronzer. On les fait roussir un peu de tous les cotés et on met ensuite “le couver” comme dirait mémé, et on cuit à petit feu...
Pendant ce temps, on prépare une bonne salade du jardin avec de l'ail, bien évidemment! On s'en fout pour l'haleine puisqu'on a rendez-vous qu'avec les grives. Il faut aussi faire griller du pain au four. Et là, il faut absolument prendre un “restaurant”! C'est non négociable!
Quand j'étais petit, on me disait, “vas chercher un gros chez Paillette !” Paillette, c'était le surnom du boulanger. M'enfin, où voulais-tu qu'on aille d'autre! Il n'y avait qu'une boulangerie au village. Ah... si tu y allais l'après-midi, la femme du boulanger tricotait dans le noir en attendant le client. C'était pour faire des économies. Elle allumait la lumière uniquement quand le client entrait! Quand ils ont pris la retraite les deux, on ne les a pas regrettés!
Bon, on s'égare un peu là... ces grives, ça rappelle tellement de souvenirs... je viens de regarder dans le poêlon... elles vont bien... elles nagent un peu mais ça va, elles ont encore pieds...
Voilà, on blague... on blague... et le pain a manqué de brûler. Si un morceau est un peu noir, on le mangera quand-même. Si pépé Sylvain était encore là, il l'aurait gratté avec le couteau lui! À ce stade, les odeurs sont dans toute la maison. Vous sentez?
Maintenant, plus rien ne pourra empêcher ma présence à table. On s'active un peu, on s'assure que le portable est en mode “silencieux” pour ne pas être dérangé. De toute façon, si on répond, il est bon à jeter car il sera imbibé de cholestérol. Et vous savez quoi... ça m'étonnerait que ce soit déjà le laboratoire d'analyses qui appelle...
Oups, on a oublié le vin ! Il faut un bon rouge! Ça y est, le poêlon arrive sur la table, chacun a déja sa tranche. Il y a des petits malins qui commencent à manger la salade au début. Ça me stresse parce je la mange à la fin avec la tranche, et si ça continue comme ça, il n'y en aura plus!
Concentrons nous sur cette grive... Vas-y que je frotte pour que ma tranche grillée soit la plus belle. Il faut bien noircir la tranche, c'est ce qui fera son goût à la fin ! Ah... un plomb! C'est tombé sur moi! Il y en a bien un qui va dire, “ben celle-là, elle n'est pas morte de peur!” Quand je mangeais les grives chez pépé Louis, il commentait toujours le repas. Je n'y connaissais rien, mais lui disait toujours, “ah... toi, tu as eu une siffleuse... toi, un chacha!”
Ça y est, je suis prêt. J'ai ma tranche, ma salade et mon verre de vin! À part la fin du monde, rien ne peut plus me faire lever de ma chaise!